YellowKorner présente Ilya Rashap : « Regard russe et ombres chinoises »
En 1991, la chute de l’URSS fait entrer la Russie dans un nouvelle période de son histoire. La censure est officiellement abolie. Dans les faits, il n’existe déjà plus de réelle opposition entre art officiel et art non officiel depuis plusieurs années. Cependant, la création artistique russe reste influencée par ce conflit de genres. Marqué par l’histoire de son pays, Ilya Rashap crée une œuvre qui reprend différents codes et symboles de l’histoire de l’art et de la culture Pop.
Ilya Rashap est né en Russie en 1979. Au-delà de la simple fonction mimétique, il cherche à photographier ce qui n’existe pas. Si l’esthétique importe, il ne suffit pas que la photographie soit belle. Qu’il s’agisse d’un paysage ou d’un portrait, une bonne photographie doit être avant tout une métamorphose de la réalité et réveiller l’imagination du spectateur. Il représente des silhouettes féminines noires aux contours nettes mais sans fond. Il fait de l’art figuratif mais ne photographie que l’essence de la forme. Ce parti pris lui permet de reprendre à son compte, avec une patine ultra-contemporaine, des formes d’art appartenant au passé.
Les silhouettes d’Ilya Rashap rendent d’abord hommage à l’art antique. Elles deviennent des cariatides modernes qui supportent toutes les lignes de la composition et qui construisent l’image. Autre référence à cette époque, les figures féminines photographiées par l’artiste rappellent les tanagras. Le terme désigne une femme remarquable par sa grâce et sa finesse. Au sens propre, une tanagra est une statuette en terre cuite datant de l’époque antique. Ces statues votives, redécouvertes seulement à la fin du XIXème siècle, représentaient souvent des danseuses, d’une remarquable délicatesse, dans un style très réaliste. Placées dans des cercles lumineux qu’elles habitent de toute leur taille, les silhouettes font aussi écho à l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci. Ce dessin du génie de la Renaissance est une étude consacrée aux proportions du corps humain. Il est devenu le symbole du courant de pensée humaniste qui plaçait l’Homme au centre de l’univers. Ilya Rashap place, lui, la femme au centre de ses préoccupations esthétiques et la met en lumière comme des objets de désirs. Le photographe se réfère aussi à l’histoire de l’art moderne et contemporain. La culture Pop inspire ses choix stylistiques et iconographiques. On pense bien sûr aux sculptures du Britannique Allen Jones pour son approche à la fois érotique et fonctionnelle du corps de la femme. Non sans humour, le photographe russe semble aussi citer l’esthétique des films dédiés au plus redoutable des combattants de la Guerre froide. La forme du hublot évoque le gun barrel du pré-générique de Maurice Binder dans la saga de l’agent 007. Mais ce sont ici des James Bond Girls dénudées et lascives qui remplacent, au centre du canon, l’espion armé et prêt à tirer.
Les silhouettes photographiées par le photographe russe sont placées au centre de la composition et sont les sujets uniques de ses œuvres. Ilya Rashap crée l’illusion de la lumière d’un projecteur placé derrière ses modèles pour qu’ils apparaissent en ombre chinoise. L’utilisation du halo lumineux n’est pas anecdotique. Il devient le symbole du regard, reprenant la forme de l’œil du spectateur et de l’artiste. Il figure aussi ce qui apparaît dans le viseur de l’appareil et rend cette fois-ci hommage à la photographie d’art.