YellowKorner présente les photographies de théâtres à l’italienne de Bernhard Hartmann et Franck Bohbot
Sur scène, pendant la représentation, les artistes fixent un point de fuite au loin. Ils balaient du regard la salle plongée dans le noir. Ils perçoivent les bruits émis pas le public : un strapontin qui grince, une quinte de toux que l’on cherche à faire discrète, les exclamations des spectateurs… Le spectacle se termine et les lumières s’allument. Quelques secondes de suspense et les applaudissements fusent ou les huées condamnent. C’est le moment de vérité où les acteurs, chanteurs ou encore musiciens font face à leur public. Pleine lumière sur la scène et dans la salle, le public et les artistes reviennent à la réalité.
Bernhard Hartmann photographie depuis plusieurs années des théâtres et opéras dans diverses régions d’Allemagne. Il livre un point de vue inédit en photographiant, de la scène, une salle vidée de ses spectateurs. A Bayreuth, en Franconie, Hartmann ne pouvait manquer d’intégrer à sa série l’Opéra des Margraves. Construit entre 1744 et 1748 par Joseph Saint-Pierre, le bâtiment fut commandé par la Margravine Wilhelmine, sœur du Roi Fréderic II de Prusse. Sur le modèle du théâtre à l’italienne, les spectateurs étant assis face à la scène et aux décors, l’intérieur entièrement en bois est l’œuvre de Giuseppe Bibiena. L’Opéra des Margraves est un des plus beaux opéras de style rococo au monde. Attiré par ce lieu, Wagner s’installera en 1872 à Bayreuth.
Pour ce compositeur, inventeur du concept d’ « art total », qui mêle de façon indissociable la musique, le chant, la danse, la poésie, le théâtre et les arts plastiques, le théâtre à l’italienne est le lieu le plus adapté à recevoir sa dramaturgie sacrée. Inspirée par le Théâtre Olympique de Vicence d’après les plans de Palladio, la structure de ces théâtres, en vogue dès le XVIIème siècle dans toute l’Europe, doit permettre d’affiner la perception du jeu des acteurs et l’interprétation des œuvres musicales.
Franck Bohbot, qui travaille, entre autre, à la représentation des espaces publics vidés de toute présence humaine, photographie en 2011 le Théâtre du Châtelet. Située à Paris, sur la Place du même nom, et construit à la demande du Baron Haussmann, cette salle de spectacle fut inaugurée en 1862. Bohbot choisit de photographier la scène, en contre plongée et en plan large, à partir d’un balcon. La scène, surélevée par rapport à la salle, est légèrement inclinée. Le décor du spectacle est monté et toutes les lignes de point de fuite convergent vers lui. Le rideau de scène est peint en 1989 par l’artiste Gérard Garouste. Les tons utilisés par le peintre s’harmonise avec les dorures des boiseries intérieures. La salle est vide de tout public. On ne sait si le spectacle vient de se jouer ou si les artistes vont, au contraire, bientôt monter sur scène.
Il existe une typologie des théâtres et opéras européens. Repris dans le monde entier, les structures et décors de beaucoup de ces espaces publics reprennent les mêmes plans et critères esthétiques. Franck Bohbot et Berhnard Hartmann donnent une nouvelle vision de ces lieux. Ils interrogent moins le théâtre comme lieu de divertissement que le bâtiment comme terrain d’une expérimentation architecturale qui perdure à travers le temps et persiste à travers les cultures.