Ce jeu-concours, « les plus fous de foot », a été créé par une agence de marketing sur Internet renommée, Les Chinois. L’un des cofondateurs des Chinois, Johan Fablet, nous explique quels ont été les ressorts de ce succès, nous détaille trois manières de développer les ventes à travers Internet pour un réseau de franchise et nous donne quelques clés pour mieux appréhender le média Internet. Un entretien intéressant, quelle que soit sa culture de l’Internet.
François Simoneschi : En quoi consistait l’opération de marketing sur Internet lancée avec Alain Afflelou durant la Coupe du Monde de football ?
Johan Fablet : Nous avons proposé un jeu-concours, « les plus fous de foot », consistant à réaliser un certain nombre de jongles à l’aide d’un personnage que l’on déplaçait avec la souris de l’ordinateur. La tête du personnage pouvait être habillé d’une paire de lunettes aux couleurs d’une des ces cinq équipes nationales de football : la France, le Brésil, le Portugal, l’Allemagne et l’Angleterre. Lorsque l’internaute avait réussi ces 5 jongles, il pouvait s’inscrire à un tirage au sort permettant de gagner l’une des 3000 paires de lunettes de la gamme Romain Afflelou, des lunettes aux couleurs d’équipe nationale ou de clubs de football, à retirer dans un magasin franchisé Alain Afflelou. Les gagnants pouvaient également échanger leur lot contre une réduction sur d’autres produits Alain Afflelou.
Quelles ont été les retombées pour Alain Afflelou ?
Au final, environ 370 000 parties de ce jeu-concours ont été disputées par plus de 75 000 internautes au cours de 120 000 visites. Nous avons enregistré 25 000 inscriptions d’internautes, lesquels ont acceptés de donner leurs nom, prénom, coordonnées physiques et adresse email. Ces données devaient être exactes pour participer au tirage au sort et être averti d’un gain éventuel. Il s’agit donc d’une base de données qualifiée, dont la cible serait, à mon sens, plutôt masculine et âgée de 15 à 25 ans. Ce fichier pourra être utilisé ultérieurement pour d’autres opérations sur la même cible, en étant même affiné, si l’on parvient à rendre les personnes réceptives, par d’autres informations : âge, profession, etc.
Avez-vous agi en totale transparence avec les internautes, concernant l’usage de leurs données personnelles ?
Parfaitement. Lors du jeu-concours, les internautes communiquaient leurs données personnelles selon le système de l’Opt-in. C’est-à-dire, les personnes ont été averties dans le règlement du jeu que l’entreprise Alain Afflelou pouvait se servir de leurs coordonnées pour les contacter à nouveau. Par exemple, dans le cadre d’une newsletter, dont les destinataires pourraient se désabonner d’un simple clic. Il faut de toute façon utiliser l’adresse email des internautes avec parcimonie. Si une marque de la notoriété d’Alain Afflelou exploitait de manière abusive les données personnelles des internautes collectées à travers ce jeu-concours, cela serait immédiatement signalé à travers les outils communautaires comme les forums et les blogs. Ce qui serait nuisible à l’image de cette marque.
Est-ce que les retombées positives de ce jeu-concours ont également touchés le réseau de franchises Alain Afflelou ?
Ce jeu-concours a d’abord contribué à développer l’image et la notoriété de la marque Alain Afflelou, et en particulier de la gamme de lunettes Romain Afflelou. Ce qui a bénéficié à l’ensemble des franchisés Alain Afflelou. Ensuite, lorsque les internautes fermaient le jeu « les plus fous de foot », ils tombaient sur le site afflelou.fr qui s’était ouvert automatiquement. Ils pouvaient, s’ils le désiraient, mieux connaître l’offre de produits des magasins Alain Afflelou. D’autre part, le fait de devoir retirer son lot en magasin a généré des visites sur les lieux de vente. L’usage du fichier de données personnelles permettra d’attirer en magasin une clientèle ciblée, concernée par les promotions ou autres événements qu’on leur proposera. Ce jeu-concours devrait être, dans un proche avenir, le point de départ d’autres opérations de marketing sur Internet, visant des cibles différentes que les jeunes adultes masculins.
De quelle manière des opérations de marketing sur Internet peuvent profiter à un réseau organisé en franchise ?
De trois façons. Tout d’abord, en participant au développement de l’image d’une marque, et donc à l’accroissement de sa notoriété. Nous avons ainsi créé un site événementiel pour la chaîne de magasins Fnac à destination des étudiants, dont le jeu consistait à donner une bonne excuse à un personnage délirant en vidéo, interprété par Julien Courbey et qui s’exprimait à mi-chemin entre Monsieur Manhattan et Jamel Debbouze, pour ne pas acheter un ordinateur à crédit pour 1 euro par jour. Ce jeu a connu un « buzz » - c’est-à-dire un bouche à oreille entre internautes – exceptionnel, au point de rester en ligne durant un mois. Cette popularité a bien sûr profité à la Fnac en termes de trafic en magasin et d’achat en ligne. Ce site Internet a, par ailleurs, reçu plusieurs prix au Clics d’Or et à l’Union des Annonceurs.
L’apport de trafic en magasin constitue le deuxième profit possible d’une opération de marketing sur Internet…
En effet. Il peut se générer par un jeu-concours demandant de récupérer son lot en magasin, mais également par un système de couponing en ligne, c’est-à-dire de coupons de réductions ou de promotions obtenus sur Internet et exploités dans un magasin du réseau de franchise. Cette formule peut être plus élaborée, à travers des challenges à réaliser en plusieurs jours. Par exemple, nous avons créé un jeu-concours pour la marque Adidas, durant lequel on gagnait des points supplémentaires si l’on allait chercher un code inscrit dans toutes les magasins de la chaîne Courir. Enfin, le troisième profit possible d’une opération de marketing sur Internet consiste à générer du « Lead qualifié », c’est-à-dire un prospect dont on a plus ou moins finement cerné les besoins.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le « Lead qualifié », à travers un exemple ?
En 2003, nous avons créé un site événementiel pour la marque automobile Audi, dont le jeu consistait à configurer un modèle de la gamme Audi à travers des options, puis d’envoyer le véhicule ainsi customisé à un ami, voire de le précommander en donnant ses coordonnées et en choisissant un concessionnaire dans une liste. Ce configurateur de véhicule donnait des indications sur les goûts et les besoins d’un client très potentiellement acheteur, appelé « Lead qualifié ». Lors de cette opération, 1 véhicule sur 5 précommandé a été réellement vendu en concession, ce qui a été considéré comme une révolution par Audi. La marque allemande a renouvelé cette opération mettant en scène un configurateur de véhicule un an et demi plus tard, en pouvant déterminer sa rentabilité, puisqu’elle pouvait tabler sur le nombre de véhicules vendu à partir du nombre de Lead qualifiés obtenus. Cette technique visant à acquérir du Lead qualifié est particulièrement adaptée aux réseaux organisés en franchise proposant des objets de valeur qui se paramètrent.
Quelles sont les contraintes, tant matérielles que financières, à appréhender pour de telles opérations de marketing sur Internet ?
Pour lancer un petit jeu promotionnel, il faut idéalement compter un mois à un mois et demi à partir de la prise de décision de l’entreprise. Pour imaginer le concept du jeu, définir son graphisme, réaliser son développement informatique, effectuer toutes les démarches juridiques nécessaires - comme déposer son règlement auprès d’un huissier… Le budget est alors inférieur à 20 000 euros, hors achat d’espace. Pour le jeu-concours de jongles de football, Alain Afflelou s’est appuyé sur ses partenariats avec TF1 et Eurosport pour annoncer cette opération sur le site de ces deux chaînes de télévision. On peut aussi imaginer des partenariats à moindre coût par le co-branding, c’est-à-dire une opération commerciale ou publicitaire mettant en avant plusieurs marques comme c’est souvent d’usage sur Internet. Pour promouvoir un jeu pour une marque de parfum célèbre, nous avons utilisé comme support le site Internet d’un journal féminin avec un échange de visibilité sur le média Internet. On change de catégorie de budget et de temps de préparation quand il s’agit d’un jeu se déroulant dans un univers persistant, nécessitant de faire vivre une situation ou des personnages comme le Tamagoshi. Il faut compter 120 000 à 150 000 euros et 4 à 6 mois de préparation. Cette opération de marketing est cependant plus riche en termes de visites et de commercialisation de produits.
Est-ce nécessaire de posséder une bonne culture de l’Internet pour s’intéresser à des opérations de marketing sur ce média ?
Absolument pas. Internet est aujourd’hui devenu un élément incontournable de toute stratégie marketing. Tous ses avantages ne sont pas encore parfaitement connus des entreprises. Ce média permet notamment de se constituer progressivement une base de prospects de plus en plus ciblés, en fonction des événements ou de la saisonnalité des ventes. Par exemple, nous avons réalisé pour Carrefour une opération de marketing à destination des enfants au moment de Pâques, pour les adolescents lors de la Fête de la Musique… Mieux, dans toute opération, on réalise un « tracking » des internautes. C’est-à-dire savoir depuis quel site ils viennent pour jouer et quelles sont les rubriques du site sur lesquelles ils se rendent après le jeu. Si nombre d’internautes viennent d’un ou plusieurs sites en particulier, cela permet ensuite de savoir sur quels sites investir en matière de publicité sur Internet. D’autre part, on détermine précisément le « taux de transformation » - comme le nombre de contacts obtenus dans la base de données -, ce qui définit le retour sur investissement.
Est-ce que tout réseau de franchise peut lancer des opérations de marketing sur Internet ?
Notre savoir-faire permet d’adapter un jeu sur Internet aux objectifs d’un réseau de franchise, comme générer du trafic en magasin. Pour le jeu-concours Alain Afflelou, nous nous sommes servis de l’investissement de cette marque dans le sponsoring sportif pour l’associer à l’univers du football, en nous servant comme levier d’un événement médiatique tel que la coupe du monde en Allemagne. Nous avons également veillé à ne pas mettre en avant un équipementier sportif, ni à faire ressembler le personnage du jeu à un footballeur connu pour des raisons de droit à l’image. C’est pourquoi nous avons utilisé le dessin et choisi le jeu de tête… ce qui permettait à l’internaute de le munir une paire de lunettes ! D’ailleurs, à ce sujet, pour équiper le joueur, un peu plus d’un internaute sur deux a choisi les couleurs de l’équipe de France dans la gamme Romain Afflelou. Les autres pays préférés étaient dans l’ordre le Brésil, le Portugal, l’Allemagne et l’Angleterre.
Votre culture de l’Internet vous permet également d’aiguiller vos clients…
Notre agence de conseil existe depuis bientôt 4 ans. Elle a été créée par cinq fondateurs, elle est totalement indépendante et compte désormais une vingtaine de personnes. Nous réalisons des vidéos interactives et des jeux sur mesure utilisant des animations au format Flash. Nous travaillons également sur d’autres domaines du Web, comme le design des sites Internet ou le conseil sur la création d’outils communautaires. Nous réalisons non pas des sites que l’on regarde, mais des sites dans lesquels l’internaute se plonge. L’expérience est nécessaire sur le média Internet, comme deux grandes marques américaines l’ont prouvé lors d’opérations de marketing, l’une à ses dépens, l’autre à son avantage. Une marque automobile a offert aux internautes d’imaginer sa propre pub pour un 4x4 en mettant à sa disposition un logiciel de création permettant de faire un montage vidéo en y ajoutant du texte. Résultat : nombre d’internautes ont détourné le concept pour réaliser des vidéos sur les 4x4 de cette marque mettant en avant leurs défauts. Des vidéos qui ont circulé sur Internet par le buzz, en particulier en utilisant You Tube, un site communautaire de partage de vidéos… A l’inverse, Nike a eu une belle idée, intitulée « the Chain » sur le site nikefootball.com. Cette marque a mis en ligne quelques vidéos de personnalité du football qui recevait un ballon par la gauche, effectuait quelques jongles et le revoyait par la droite. Elle a suggéré aux internautes de leur envoyer des vidéos d’eux-mêmes sur le même modèle. Résultat : une chaîne de milliers de personnes, connues ou non, de tous pays, a été créée, chacune des personnes recevant un ballon de la droite et semblant le donner à une autre par la gauche… une version moderne de « si tous les gars du monde pouvait se donner la main ».