Dossiers de la franchise

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La Lettre de la Franchise - Mars-Avril 2008

La renégociation du contrat de franchise (aspects juridiques)
(Tribunal de commerce de Bobigny, 29 janvier 2008)

1. Par jugement du 29 janvier 2008, le Tribunal de commerce de Bobigny vient de se prononcer dans le cadre du litige opposant un voyagiste à l’association regroupant ses agents et mandataires exclusifs. Entre autres griefs, il était reproché à la tête de réseau d’avoir créé un site Internet marchand générant près de 20% de son CA en produits diffusés sous sa marque, sur lequel ses agents et mandataires ne percevaient aucune rémunération.

Le Tribunal « dit que les contrats en vigueur doivent s’appliquer de bonne foi par (la tête de réseau) dans les termes de ceux-ci, mais que dans l’intérêt des parties, les termes en soient rediscutés afin qu’il soit tenu compte des conséquences du site Internet (…) et de son développement de sorte que l’équilibre sur lequel est fondé le mandat d’intérêt commun qui les unit puisse être préservé (…) ». Ce faisant, le Tribunal précise que, pour aider à la recherche de cette solution, il nommera un « conciliateur » sur demande éventuelle des parties.

Les données de ce litige étaient bien trop particulières pour que la solution retenue par le Tribunal de Bobigny puisse être généralisée. La décision, et c’est en cela qu’elle est véritablement intéressante, conduit à évoquer trois règles essentielles, dont l’articulation permet de mieux saisir certains des aspects juridiques de la renégociation du contrat de franchise. Il s’agit ici, comme souvent, de rappeler les règles de droit commun.

2. Les parties sont liées par les termes de leur contrat (règle n°1 : la force obligatoire des contrats). En effet, selon le principe fondamental qui gouverne le droit des contrats, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites (c. civ., art. 1134, al. 1er). Ce contrat doit s’appliquer pendant toute sa durée tel que les parties l’ont accepté ; le juriste connaît cette règle de base sous l’adage : « Pact sunt servenda ».

En conséquence, aucune des parties ne peut refuser d’appliquer un contrat en raison du déséquilibre qui l’affecte depuis sa conclusion, s’agissant d’un déséquilibre structurel que – par sa légèreté, son incompétence ou son imprudence – il n'a pas été en mesure de corriger lors de sa signature. En la matière, le contrat lésionnaire est toujours valable.

La solution a été clairement réaffirmée par la première chambre civile. Selon cette décision remarquée (Cass. civ. 1ère, 16 mars 2004, Bull. civ. I, n°86, D. 2004, Jur. p.1754, note D. Mazeaud ; D. 2004, Jur. p.2239, note J. Ghestin ; RTD Civ., 2004, p.290, note B. Fages et J. Mestre), la Haute juridiction rejette le pourvoi formé par le cocontractant qui, pour résilier le contrat, se prévalait d’un déséquilibre survenu dès sa conclusion. Selon la Cour de cassation en effet, il « ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ».

C’est ce qui explique, par exemple, qu’un franchisé ne puisse pas reprocher à son franchiseur de ne pas l’associer au développement de son activité sur Internet lorsque le contrat de franchise prévoit cette situation. Ainsi, lorsque le contrat interdit tout au plus au franchiseur d’implanter un autre point de vente sous enseigne dans une zone géographiquement délimitée, le franchisé ne peut lui reprocher de développer son activité sur Internet puisque, dans ce cas, la clause d’exclusivité territoriale n’est pas violée (Cass. com., 14 mars 2006, pourvois n°03-14.630, n°03-14.316 et n°03-14.640). Le contrat tient lieu de loi entre les parties et, après tout, quoi de plus normal.

3. Aussi, dans la continuité de ce qui précède, il convient de rappeler que le droit privé français refuse de longue date (Cass. civ., 6 mars 1876, DP 1876, I, Jur. p.193) d’appliquer la révision du contrat pour cause d’« imprévision » (règle n°2 : le rejet de la théorie de l’imprévision), en dépit de la position contraire chère à un nombre croissant de nos voisins (Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Portugal et Suisse).

Et on le sait, la révision pour imprévision autorise l’une des parties au contrat d’en reconsidérer les termes lorsque l’un des contractants est confronté à des circonstances extérieures, imprévisibles lors de la conclusion d'un contrat et qui, sans le mettre dans l'impossibilité absolue d'exécuter ses prestations, rendent celles-ci tellement onéreuses, qu'à défaut d'un rééquilibrage des obligations contractuelles, la réalisation de l'objet du contrat se trouverait sérieusement compromise.

4. Hormis le cas où le contrat comporterait une clause de hardship, le droit privé français admet néanmoins, depuis peu, deux types de tempéraments à ce refus de principe (règle n°3 : les deux tempéraments admis au rejet de principe de la théorie de l’imprévision).

Le premier tempérament, passé relativement inaperçu, revient à considérer que l’une des parties contractantes est en droit de pouvoir renégocier son contrat lorsqu’il s’avère qu’elle a été victime d’une manoeuvre dolosive de son cocontractant lors de la formation du contrat. Il est normal en effet que, dans ce cas, la partie lésée soit en mesure de pouvoir poursuivre l’exécution de son contrat tout en obtenant la modification de celui-ci.

Cette situation a fait l’objet de quelques décisions en jurisprudence. Ainsi, une cour d’appel a-t-elle retenu à bon droit la responsabilité d’un franchiseur qui, après avoir commis une erreur lors des pourparlers de nature à altérer le consentement de son franchisé, avait néanmoins refusé par la suite d’adapter sa politique commerciale au contexte particulier dans lequel ce franchisé évoluait (Cass. com., 1996, Juris-Data n°005650). De même, commet une faute de nature à engager sa responsabilité le franchiseur refusant une proposition de renégociation du montant des investissements du franchisé, alors que le franchiseur, après s’être abstenu d'informer son cocontractant du montant des investissements préalables nécessaires à l'exploitation, a décidé d’augmenter le montant des investissements réclamés postérieurement à la conclusion du contrat (CA Rennes, 6 mai 2003, Juris- Data n°221106).

A ce premier tempérament, s’en ajoute un second : les termes d’un contrat peuvent être renégociés pour permettre à l’un des contractants de sortir de l’impasse économique que son partenaire a contribué à provoquer par la mauvaise foi dont il a fait preuve lors de l’exécution du contrat. La solution est logique et trouve son fondement dans l’article 1134, alinéa 3 du Code civil.

Ainsi, par ses arrêts Huard et Chevassus-Marche (Cass. com., 3 nov. 1992, RTD civ. 1993, p.124, note J. Mestre ; Cass. com., 24 novembre 1998, RTD civ. 1999, p.98, note J. Mestre ; JCP 1999, I, p.143, obs. Ch. Jamin ; Contrats, conc., consomm. 1999, comm. n°56, obs. M. Malaurie- Vignal ; v. aussi, N. Molfessis, Les exigences relatives au prix en droit des contrats, in Le contrat : questions d'actualité, LPA, 5 mai 2000, p.41, spéc. n°26), la chambre commerciale de la Cour de cassation a érigé une obligation de renégociation en cas de changement imprévu de circonstances économiques lorsque l’un des contractants fait preuve de mauvaise foi lors de l’exécution du contrat. C’est dans la continuité directe de cette jurisprudence bien connue que s’inscrit résolument le jugement rendu le 29 janvier 2008 par le Tribunal de commerce de Bobigny.

5. Dans les deux hypothèses, on l’aura compris, la notion de « bonne foi » met en échec les plus solides principes du droit des contrats, pour aboutir à la condamnation de ceux qui contractent ou exécutent le contrat en méconnaissance de l’intérêt commun des parties.

Prescription et requalification du contrat de franchise en contrat de travail (Cass. soc., 30 janvier 2008, pourvoi n°06-43.975)

Plusieurs franchisés avaient agi devant un conseil de prud’homme afin d’obtenir la requalification de leur contrat de franchise en contrat de travail, la condamnation de leur employeur (la société du franchiseur) et l’inscription au passif de ce dernier des diverses sommes dont ils s’estimaient créanciers à titre d’arrérages de salaires et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour dire et juger que l’AGS ne pouvait opposer la prescription extinctive des créances salariales de plus de 5 ans, un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse avait considéré que les salariés (ex-franchisés) n’avaient pas été placés dans un rapport contractuel de nature salariale et ne pouvaient donc avoir conscience de ce qu'ils étaient exposés à cet effet extinctif de leurs droits, dont ils ignoraient la naissance.

La Cour de cassation censure l’arrêt au visa de l’article 2251 du code civil. Elle considère que la Cour d’appel ne caractérise pas une impossibilité absolue dans laquelle se seraient trouvés les salariés d'agir avant l'expiration du délai de prescription dont le cours n'était pas suspendu par l'ignorance prétendue de leurs droits. La prescription extinctive des créances salariales s’applique donc.

Résiliation du contrat de franchise et envoi d’une lettre recommandée
(Cass. com., 29 janvier 2008, pourvoi n°06-13.462)

Conformément au contrat, un franchiseur avait informé l’un de ses franchisés, par lettres RAR envoyées à l’adresse de ses deux fonds de commerce, de son intention de ne pas renouveler les contrats de franchise. Lesdites lettres lui avait été retournées avec la mention « non réclamé, retour à l'envoyeur". Le franchiseur avait par suite résilié avec préavis les contrats signés avec ce franchisé. Reprochant au franchiseur de ne pas avoir fait signifier par voie d’huissier le non-renouvellement des contrats, une fois que les LRAR lui avaient été ainsi retournées, le franchisé a assigné le franchiseur en réparation du préjudice résultant de son exclusion injustifiée et irrégulière du réseau.

La Cour de cassation rejette le pourvoi ainsi formé en considérant que c’est à bon droit que la cour d’appel a pu retenir, dans son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que le franchisé ne pouvait invoquer la non-réception des deux courriers de notification, retournés au franchiseur avec la mention "non réclamé, retour à l'envoyeur" dès lors que n’était pas rapportée, ni même alléguée, la preuve d'une erreur d'adresse des destinataires.

La solution est logique : la négligence de l’une des parties, réelle ou affichée, ne saurait pouvoir emporter des conséquences préjudiciables pour son cocontractant.

Résiliation du contrat de franchise et envoi d’une lettre recommandée
(Cass. com., 29 janvier 2008, pourvoi n°06-13.462)

Une société avait conclu un contrat de "mandat" aux termes duquel elle prenait en charge la gestion d'un hôtel exploité en franchise par le mandant ; ses cogérants, soutenant qu’ils se trouvaient personnellement placés dans un état de « subordination » à l'égard du mandant dans l'exécution de leur travail, décidèrent en conséquence d’agir devant le juge prud’homal afin d’obtenir à leur profit le paiement de salaires et de dommages-intérêts.

La Haute juridiction considère que c’est à bon droit que la cour d’appel a pu déduire, dans son appréciation souveraine (absence d’autonomie réelle des mandataires, pouvoir de direction, de contrôle et de sanction du mandant), que les demandeurs se trouvaient placés dans un état de subordination à l'égard du mandant et qu'ils étaient ainsi liés à celui-ci par un contrat de travail, sans qu'il soit nécessaire d'établir que la société constituée par les demandeurs avait un caractère fictif.

Apposition d’une enseigne concurrente par le franchisé et compétence du juge des référés
(Cass. civ. 2ème, 10 janvier 2008, pourvoi n°07-13.558)

1. On s’en souvient, par une décision relativement récente, la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 31 janvier 2007 (référé), RG n°06/7909) avait écarté la demande d’un franchiseur tendant au retrait de l’enseigne de son ex-franchisé qui, postérieurement à la cessation de son contrat de franchise, avait violé sa clause de non-réaffiliation. La Cour avait retenu que « le trouble manifestement illicite ouvrant les pouvoirs du juge des référés n’est pas en l’espèce caractérisé » dès lors que « la licéité de la clause de non concurrence ou de non affiliation n’apparaît pas avec l’évidence requise devant le juge des référés, dans la mesure où elle est surtout destinée à protéger les intérêts du franchiseur dont le ‘‘savoir-faire’’, c'est-à-dire l'avantage économique apporté en raison de son originalité n'est pas établi avec certitude même si les ‘‘bibles du savoir faire’’ ont été produites aux débats ». Elle ajoutait « qu’outre les limitations habituelles dans l’espace et dans le temps, la licéité d’une clause de non concurrence ou de non affiliation est subordonnée au caractère proportionné par rapport à la fonction qu’elle remplit » et que « si les deux premières conditions sont en l’espèce remplies, la troisième ne l’est pas de manière évidente puisqu’il n’est pas établi que la clause soit proportionnelle à la sauvegarde des intérêts légitimes du franchiseur ».

2. Par arrêt rendu le 10 janvier 2008, non publié, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre la décision rendue par la Cour de Versailles, et retient que « la cour d'appel a légalement justifié sa décision et retenu que la licéité de la clause litigieuse n'apparaissait pas caractérisée avec l'évidence requise devant la juridiction des référés ».

Ainsi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se refuse-t-elle à exercer tout contrôle sur l’appréciation que le juge des référés porte quant à la validité de la clause de ‘‘non-affiliation’’ pour conclure à l’absence de trouble manifestement illicite.

3. Se dessine ainsi une divergence entre la position de la deuxième chambre civile et celle de la première chambre civile qui, par un arrêt remarqué publié au Bulletin (Cass. civ. 1ère, 15 juin 2004, Bull. civ. I, n°172, p.143), avait posé, au contraire, le principe de présomption de validité des contrats, selon lequel le contrat doit être exécuté jusqu’à ce qu’il ait été considéré nul par le juge du fond, interdisant en cela au juge des référés d’exciper de la nullité possible de telle clause du contrat pour écarter l’existence du trouble manifestement illicite prévue à l’article 873 du code de procédure civile.

Validité d’une clause de non-concurrence et condition de proportionnalité
(Cass.com., 18 décembre 2007, pourvoi n°05-21.441)

Parce qu'elle restreint une liberté économique essentielle, la validité de la clause de non-concurrence est subordonnée à trois conditions. La restriction d'activité du débiteur doit être limitée quant au genre d'activité concernée ; la clause doit être limitée dans le temps et dans l'espace ; la restriction de concurrence doit être proportionnée aux intérêts légitimes du créancier de l’obligation. Cette dernière condition se décompose en deux propositions : la clause de non-concurrence doit tendre à la protection des « intérêts légitimes » de son bénéficiaire et produire une restriction de concurrence qui soit « proportionnée » à ces intérêts légitimes.

En l’espèce, la clause de non-concurrence dont la validité était discutée interdisait à l’ex-franchisé, pendant un an, sur la commune d'implantation du fonds de commerce et les communes avoisinantes, de recourir à une enseigne nationale et de s'approvisionner hors de tout réseau national ou régional, de quelque nature que ce soit. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui, ayant retenu que la clause litigieuse consistant à protéger le savoir-faire du franchiseur était trop générale au regard de l'objet du contrat de franchise, a fait ressortir le caractère disproportionné de cette clause par rapport aux intérêts légitimes du franchiseur.

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